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[Lecture] Paul Auster – Le diable par la queue suivi de Pour


bunee

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Traduit de l’américain par Christine Le Bœuf

1996

Actes Sud – Babel

Titres originaux : Hand to Mouth – Why write ?

ISBN 2-7427-2277-7

Si Paul Auster est désormais un écrivain reconnu et réputé, comme vous pouvez le constater au vu des nombreuses biographies qui lui sont consacrées (voir notamment celes du Wiki, d'Evene, ainsi que les sites dédiés ) et à son œuvre prolixe, il n’en a pas toujours été ainsi.

En effet, l’écrivain, dans nombre de sociétés, a souvent une place peu rémunératrice : Beaucoup aspirent à la gloire et à la reconnaissance de leur époque, et au final assez peu l’obtiennent du seul fait de leur talents (et après quels efforts !!)

Il existe une sorte d’équation (terme récurrent dans le livre) que met en forme Dominique Eril:

Comment être écrivain tout en sachant que ce n'est pas un métier, que bien peu ont le privilège d'en vivre correctement et qu'un tel choix pour la vie ne correspond en rien à une «décision de carrière?

Bien plus, comme l’écrit très justement Valery Hugotte dans ses Notes de lecture,

la question de l'argent traverse l'ensemble de l'oeuvre de Paul Auster. Ainsi, L'Invention de la solitude et La Musique du hasard présentaient, sur un mode autobiographique puis romanesque, une réflexion sur l'héritage. De même, le récent Smoke, le film réalisé avec Wayne Wang, était parcouru par les thèmes du don et de la dette : Auster s'interrogeait, à travers le tableau du microcosme constitué par un quartier de Brooklyn, sur une Amérique qui, soumise aux lois du marché, renonce à ses valeurs ¬ incarnées dans Brooklyn Boogie par le fantôme d'un joueur de base-ball... Dans Le Diable par la queue, le romancier reprend la question traditionnelle des rapports entre l'argent et la création, cette question que résume plaisamment l'ironique conclusion : «Et voilà comment on écrit des livres pour faire de l'argent. Voilà comment on se vend». Cependant, le romancier le précise d'emblée, il ne s'agit pas que de cela : «l'argent, bien entendu, n'est jamais seulement l'argent».

Le diable par la queue est une savoureuse (?) expression, un titre qui en dit long sur l’œuvre qu’il désigne.

D’après Pierre, du projet babel, citant Charles ROZAN dans ses Petites ignorances de la conversation (P. Ducrocq, 1881),

Tirer le diable par la queue, c'est se procurer péniblement le nécessaire pour vivre, c'est être réduit aux expédients. On a prétendu qu'il s'agissait "du diable d'argent que tout le monde voudrait attirer à soi", mais cette explication laisse beaucoup à désirer. Nous préférons prendre le diable plus au sérieux et le considérer ici comme une image représentant toutes les choses auxquelles on n'a recours qu'à la dernière extrémité, et qu'on s'estime encore heureux de trouver, d'obtenir même par la prière, quand on n'a plus d'autre moyen d'échapper à une situation misérable. Le mont-de-piété, par exemple, c'est le diable, et lorsque nous lui portons notre linge en le priant de nous prêter de l'argent à gros intérêts, nous tirons le diable par la queue. Pour expliquer l'image, on peut se figurer un homme qui, à bout de ressources et ne sachant plus à qui s'adresser, finit par recourir à l'assistance de ce diable, dont il avait d'abord refusé le secours. Le diable à son tour fait le difficile, il se souvient des rebuffades qu'il a essuyées, il tourne le dos à celui qui l'a d'abord méprisé, - et c'est alors qu'il faut, pour le ramener, le tirer par la queue. Les jeunes gens qui ont escompté leur avenir à de ruineuses conditions ont plus d'une fois ramené ainsi par le pan de l'habit cette monstruosité sociale qu'on appelle un usurier, et ils savent par expérience ce que veut dire : Tirer le diable par la queue.

D’autres explications étymologiques sont également données Sur le Wiktionnaire, malheureusement incomplet. Si le sujet vous intéresse il y a, ailleurs, d’autres discussions.

Bref, revenons en à notre écrivain impécunieux.

Difficiles relations avec l’argent entre autres dues à l’impossibilité chronique de se résoudre à occuper un emploi, ne serait-ce qu’alimentaire, autre que celui d’écrivain.

Ecrivain sinon rien (ou pas grand-chose), quitte à devoir espérer d’improbables miracles et trésors (Des sacs d’or, Cf. l’épisode épique voire burlesque du jeu de cartes) afin de reculer l’échéance.

Dèche chronique flirtant avec le désespoir et l'angoisse, expédients multiples, aventures et mésaventures diverses et variées (allant par exemple des bateaux aux traductions pour la femme fantasque d’un homme d’affaire russe), poursuite effrénée dans laquelle certains lecteurs se reconnaissent au point de s’envisager auteurs possibles du même type de récit.

Ce qui est diabolique, c’est que le personnage ne change que très tardivement (voire jamais) de conception à cause des / grâce aux coups de pouces qui, façon rebondissements, tombent in extremis du ciel aux instants limite (des bourses attribuées ou un petit boulot providentiel dégoté juste au moment ou il risque d’être à la rue)

Tout ceci sur le ton d’une narration presque souriante et amusée – une sorte d’introspection dépourvue d’analyse (CF. Valéry Hugotte préc.). Sur le même ton, dans « Pourquoi écrire » Paul Auster nous offre de petites anecdotes, à la fois tendres et enjouées, qui ont chacune contribué (celles-ci relatant le vécu de l’auteur) à l’orientation de l’écrivain vers cette carrière.

Pour vous mettre l’eau à la bouche, vous pouvez trouver un (long) extrait disponible sur le site de l’éditeur.

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