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Le monde des Lantern selon Johns


cruchot

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Il y a quelques jours, alors que nous prenions une belle rouste sur le Seigneur des Anneaux Online, Xavier et moi évoquions les derniers comics que j’avais lus, les changements à venir aux États-Unis et en France et le film de Green Lantern sorti quelques semaines auparavant. Bref, on papotait gentiment. Et tout à coup, il m’a balancé avec la plus grande candeur cette question traîtresse, simplissime en apparence et que je vous livre telle quelle, dans sa forme la plus crue : « Et sinon, Blackest Night, c’est bien ? ».

Oh le vilain piège. Est-ce que Blackest Night c’est bien ? Il aurait pu me demander mon avis sur pas mal d’autres trucs récents, mais non, il a fallu qu’il me lance sur ce cross-over monstrueux.

Je vous explique : normalement, quand on évoque entre nous nos récentes lectures (et ça arrive très souvent), ce genre de question est assez rapidement évacuée : « Ouais, c’est pas mal » ou alors « C’est génial, il faut absolument que tu le lises, les auteurs se sont surpassés », voire parfois « Ouhlà, oublie, tu vas te faire mal ». Sauf qu’une réponse même un peu argumentée ne convient pas quand il s’agit de parler du meilleur cross-over de DC. Parce que pour évoquer Blackest Night et expliquer le pourquoi du comment de l’évènement, et surtout pourquoi c’est bien, il faut remonter plusieurs années dans le temps. En 2004, pour être précis, l’année où Geoff Johns a mis la main sur Green Lantern et ne l’a plus lâché depuis. Ca tombe bien, ça fait un petit moment que je songe à vous parler du renouveau de la lanterne verte.

Allez, suivez-moi, je vais expliquer pourquoi Blackest Night c’est bien, pourquoi vous devez lire la saga Green Lantern et pourquoi Geoff Johns est un génie.

Hal Jordan, le premier policier spatial vert de terre.

Au départ était le premier Green Lanten (GL), Alan Scott, personnage créé pendant l’Age d’Or par Martin Nodell et Bill Finger (celui là même qui a créé le Batman mais s’est fait piquer l’idée par Bob KANE. Peut-être qu’un jour je vous raconterai tout ça) et largement copié sur la légende d’Aladin (le premier nom du personnage était d’ailleurs Alan Ladd).

Plusieurs milliers d’années dans le passé, une flamme verte magique s’est écrasée sur terre et a prophétisé qu’elle donnerait la mort (ce qu’elle fit en s’écrasant sur terre), puis la vie (en guérissant celui qui la trouva) et enfin le pouvoir à celui qui la porterait. Remodelée en lanterne magique par un artisan, elle est découverte par Alan Scott, donc, qui l’utilisa pour faire le bien une fois qu’il eut forgé un anneau de pouvoir magique.

A la fin des années 50, la série ne fait plus recette. En 1959, DC demande à John Broom de relancer Green Lantern avec le même succès qu'il a eu pour The Flash. Un nouveau GL apparaît donc sous la plume de Broom et les pinceaux de Gil Kane dans la revue Showcase #22. Hal Jordan, capitaine et pilote d’essai dans l’US Air Force, est choisi par un anneau de puissance pour succéder à son ancien porteur mourant, l’extraterrestre Abin Sur, échoué sur terre à bord de son vaisseau. Contrairement à Alan Scott, qui tire son pouvoir de la magie, Jordan tire sa puissance de la science, en l’espèce de la technologie plusieurs fois millénaire des créateurs de l’anneau. Cet artefact lui permet de matérialiser ses pensées sous forme de constructions composées d’énergie pure. La série connaîtra des hauts et des bas, Jordan aura sa propre série et finira naturellement par faire partie du noyau dur de la Justice League Of America (JLA, où son meilleur ami y est … Green Arrow bien évidemment) aux côté de la Trinité (Batman, Superman, Wonder Woman).

Hal Jordan ne restera pas un vert solitaire bien longtemps. Broom et Kane vont rapidement peupler l'univers de la Lantern. On voit donc apparaitre le jaune Sinestro (Broome avait crée auparavant la Némésis de Flash, Reverse-Flash, elle aussi jaune), les Gardiens de l'univers, Star Sapphire, etc... Les lecteurs découvrent qu'Hal Jordan est en fait un officier du Green Lantern Corps, une sorte de police spatiale chargée de protéger l’univers. Le QG de celle-ci se trouve se la planète Oa, située dans le secteur 0, sur laquelle se trouve Batterie Centrale qui alimente tous les anneaux du Corps. On apprend enfin que le Green Lantern Corps a été fondé par les Gardiens, une race aussi vieille que l’univers, et qu’au sein du Corps, chaque porteur d’anneau est responsable d’un secteur de l’univers. Issu de la terre, Jordan est responsable du secteur 2814 sur les 3600 que compte l’univers connu.

De nouveaux alliés humains font leur apparition, Guy Gardner (en 1960, pendant l’âge de bronze), John Stewart (1970, fin de l’âge de bronze) et Kyle Rayner (1994, à l’âge moderne), ainsi que toute une tripotée d’aliens.

A la fin des années 90, DC tente un coup osé pour relancer les ventes de la série: tuer Jordan. Tout commence par l’incinération de Coast City, sa ville d’origine, par Mongul. Fou de rage, Hal Jordan se laisse infecter par le parasite Parallax, incarnation de la peur, détruit le GL Corps et tente de réécrire l’histoire dans le sens qui lui convient (cross-over Zero Hour, crisis in time, 1994). Et en 1998, DC publie le cross-over Final Night au cours duquel un dévoreur de soleils s’attaque à l’étoile de la terre. Alors que tout semble perdu, Jordan/Parallax apparaît et se sacrifie au dernier moment pour rallumer le soleil.

Privées de Jordan, les séries GL et GL Corps vont vivoter gentiment dans le catalogue DC au point de presque tomber dans l’oubli. Et puis il y eut Geoff Johns.

Geoff Johns, le génie de la lanterne.

Geoff Johns est un scénariste touche à tout. Il a un peu travaillé pour la télé et le ciné (il a participé à l’épisode pilote de la série Blade (2006) et à Green Lantern le film, bien évidement). Mais c’est en tant que scénariste de bd qu’il est le plus connu. En 1997, en visite à New York lors de la production du film Complots à laquelle il participe, il rencontre Eddie Berganza à qui il fait part de son amour pour les comics. Pistonné par Berganza, le jeune Johns entre chez l’éditeur de Broadway (les deux grands concurrents ont leurs bureaux à New York. Ceux de DC se situent 1700 Broadway avenue et Marvel à son siège au 417, 5th avenue) qu’il ne quittera plus (même s’il a rendu quelques rares travaux pour Marvel ou Dark Horse, avec quelques épisodes X-Men ou Avengers ainsi qu’peu de BPRD ou de Witchblade). Autant dire que depuis le temps, il connaît très bien les personnages de la Distinguée Concurrence et surtout, tout ce qu’il touche se transforme en or (Superman : Secret Origin, The Flash : Rebirth, c’est lui. La série évènement 52 ? Encore lui).

Or il se trouve que Johns a un faible pour la série Green Lantern et spécialement pour Hal Jordan, le seul Lantern digne de ce nom à ses yeux. Bien décidé à écrire en vert, il sollicite et obtient en 2003 l’autorisation de plancher sur l’univers du GL. Problème, Jordan est mort. Mais Johns n’est pas du genre à se faire arrêter par un pareil détail.

En 2004, associé à Ivan Reis aux pinceaux, il sort Green Lantern : Rebirth, relaunch osé d’une série qui n’était attendue par personne. Et c’est le carton plein. Car Johns n’est pas un amateur. Petit génie de l’écriture, il ressuscite Jordan avec intelligence et surtout crédibilité. Ici, pas de machine à cloner, de héros renvoyé dans le passé ou d’imposteur polymorphe. A sa mort, l’esprit de Jordan s’est retrouvé mêlé à celui du Spectre, l’esprit de la vengeance (vert, un personnage vert, bien entendu) pendant que son corps repose au centre du soleil, protégé par son anneau de puissance. Le but premier de Johns était certes d’absoudre Jordan des atrocités commises pendant qu’il était sous l’emprise de Parallax. Pour lui permettre d’aller de l’avant, le scénariste tenait en effet absolument à repartir avec un héros neuf et positif, qui n’a rien à prouver et encore moins à se faire pardonner en permanence.

Absout de ses péchés, Jordan peut reprendre son travail au sein du Corps. Les premières histoires vont le remettre dans le train. Les auteurs lui réservent au début quelques aventures solos, lui créent de nouveaux ennemis ou en font revenir d’anciens. Bref, ils posent les bases et présentent le personnage. Rien de bien novateur finalement au pays des supers, si ce n’est le talent de Johns pour écrire de bonnes histoires et de Reis pour les mettre en action. Cette réintroduction de personnage et de son univers constitue la première partie de la trilogie Blackest Night. Elle se compose des arcs Rebirth, Revenge of the Green Lantern Corps, No fear et Wanted : Hal Jordan (Green Lantern vol.4 #1 à #20).

Mais le plat de résistance reste à venir. Il arrive trois ans plus tard avec Sinestro Corps War, une maxi-série de 11 épisodes publiés entre juin et décembre 2007 (Green Lantern vol.4, #21 à #25 et Green Lanter Corps #14 à #19).

Sinestro était le meilleur GL du Corps. Mais face au conservatisme des Gardiens et à leur retenue qu’il considère comme de la faiblesse, il décide de tourner le dos à sa famille pour se laisser envahir par une émotion qu’il juge bien plus puissante : la Peur. A noter que la trahison de Sinestro pourrait constituer la base de la suite du film Green Lantern si on se fie à l’après générique. Il se retrouve alors à la tête d’une armée de tueurs, tous choisis dans les différents secteurs de l’univers pour leur « capacité à instiller une grande peur ». Même le Batman se verra proposer le job par l’anneau jaune de son secteur (le 2814 pour ceux qui ne suivent pas), mais il déclinera peu poliment l’offre.

Grâce à son Corps, Sinestro entend faire régner enfin l’ordre dans l’univers par la peur. Ce faisant il déclenche une guerre contre son ennemi intime, le GL Corps. Après de nombreux combats épiques, le sauvetage in extremis de la Terre (présentée comme le point d’équilibre du multivers, vive nous) et de très lourdes pertes chez les GL, Sinestro est finalement arrêté et placé en détention sur Oa jusqu’à son jugement.

Si le public avait très bien accueilli le retour de Jordan, la série Sinestro Corps War, va exploser tous les scores de ventes de l’éditeur. Geoff Johns et son comparse Dave Gibbons ont repris un concept développé en 1986 par Alan Moore et Kevin O’Neil (dans la série Tales of the Green Lantern Corps Annual #2). Mais les deux scénaristes sont allés bien plus loin et ont considérablement enrichi l’idée de base.

La recette du succès est assez simple et tient en un mot: démesure. Prenez 3600 tueurs et mélangez à autant de flics spatiaux préalablement dépouillés de toute force létale. Mixez jusqu’à ce que la préparation jaunisse. Ajoutez une large dose de Manhunters, les robots que les Green Lanterns ont remplacé quand ils sont devenus fous, menés par le cyborg-Superman et secouez. Pour épicer, saupoudrez d’un trait de Superman Prime enragé. Et, cerise sur le gâteau, décorez avec le Gardien du Sinestro Corps: l’Anti-Monitor. « Je voulais totalement truquer le jeu contre le Corps des Green Lanterns. Je voulais qu’ils se retrouvent face au plus puissant rassemblement de supers-vilains de leur histoire. Alors je suis allé aussi loin que je pensais pouvoir le faire » (Geoff Johns dans son Journal de Guerre, publié dans le tome 2 de Sinestro Corps War).

Sinestro Corps War a été classé par les journalistes spécialisés dans le top 10 des séries de l’année. Et les dessinateurs Ivan Reis et Ethan Van Sciver furent nominés dans la catégorie « meilleurs dessins et encrages » pour les Eisner Awards de 2008. La série a par ailleurs été une des meilleures ventes de DC et a redonné le sourire à son éditeur en chef, Dan Didio. Au vu du succès et de la qualité de l’arc, ce dernier a d’ailleurs insisté auprès de Johns pour qu’il intègre l’intrigue au scénario du futur MMORPG DC Universe Online.

D’aucuns auraient pu penser que le soufflé retomberait après une telle réussite. C’était mal connaître Johns. Avant de se lancer dans la troisième et dernière partie de sa trilogie, le scénariste choisit ce temps mort pour sortir enfin sa réécriture des origines de Jordan, annoncée à coups de courts flashbacks alléchants tout au long des épisodes précédents.

Car comme on l’a dit, Jordan est apparu en 1959. Pendant près de 50 ans, les différents auteurs qui sont passés sur le personnage ont ajouté des éléments parfois très disparates à la mythologie du héros. Tellement qu’au bout d’un moment, tout et son contraire coexistait, les scénaristes se contredisant les uns les autres ou étant à la peine pour embrayer sur les idées parfois farfelues de leurs prédécesseurs.

Conscient du problème, le premier fan du personnage et nouveau roi de la galaxie DC va s’atteler à remettre de l’ordre là-dedans. Green Lantern : Secret Origin a été publié dans Green Lantern Vol. 4 #29 à #35 (mars à septembre 2008). Et là encore le public fut au rendez-vous. Tout y est : Abin Sur, Sinestro vert, le premier serment de Jordan, son béguin pour Carol FERRIS. Mais en plus de réussir à synthétiser et actualiser 50 ans d’évènements, Johns arrive à apporter des explications à des éléments jusqu’alors jamais précisés (par exemple, on sait maintenant pourquoi Jordan tient tant à son blouson d’aviateur). Brillante, l’histoire a été pensée pour pouvoir être lue de manière autonome mais aussi pour s’insérer dans la trilogie en cours. Et elle réussit le pari de satisfaire les anciens, attentifs au respect de la mythologie du policier spatial, comme les néophytes, qui peuvent découvrir le héros dans une histoire abordable et contemporaine.

Les nouvelles origines de Jordan réécrites et les bases de Blackest Night posées, Johns peut enfin attaquer la dernière partie du prélude de son cross-over.

Quand les Rainbow Warriors débarquent.

La plus grande réussite de Johns est donc de réussir à mettre en place le gros évènement qu’il avait en tête dès le début. Par petites touches discrètes, lors d’apartés au premier abord sans intérêt ou de discussions sibyllines entre les Gardiens, Johns annonce progressivement une prophétie sur le point de se réaliser : l’arrivée de la Blackest Night, la Nuit la plus Noire, qui doit signer la fin de toute vie dans l’univers.

Le nom de cet évènement n’a pas été choisi au hasard. Le scénariste est allé le chercher … dans le serment des Green Lantern prononcé lorsqu’ils rechargent leur anneau :

In brightest day, in blackest night,

No evil shall escape my sight

Let those who worship evil's might,

Beware my power... Green Lantern's light!

(J’aurai quand même réussi à le placer celui-là)

Ce serment n’était à l’origine qu’un gimmick identitaire propre à la série. Johns en fera une prophétie.

Par ailleurs, le scénariste avait dès le début en tête l’image d’un spectre d’émotions, à la manière d’un arc en ciel. Si la nuit noire arrive, seul le blanc peut la combattre. Or qu’est-ce que le blanc sinon la fusion de sept couleurs dont … le vert et le jaune ?

Le vert (la volonté) et le jaune (la peur) sont à la base de la mythologie de la série. Le violet (l’amour) était lui aussi présent mais sous une forme différente. Grâce à Johns, on apprend en effet que les Star Sapphire sont en fait les femmes des Gardiens. Quand elles apprirent les plans de leurs hommes, abandonner toute forme d’émotion pour préserver l’univers, elles décidèrent de s’exiler sur la planète Zamaron pour y créer leur propre Corps. Il aura « juste » suffit à Geoff Johns de transformer leurs pierres de puissance en anneaux pour les intégrer à l’univers des Lantern (Green Lantern vol.4 #20 de juillet 2007 et compilé dans le recueil Wanted : Hal Jordan).

Johns va donc utiliser la dernière partie du prélude à Blackest Night pour présenter les couleurs manquantes et révéler enfin un spectre d’émotions complet.

Tout d’abord le rouge (associé à la rage) dans Rage of the Red Lantern (qui contient les épisodes Green Lantern vol. 4 # 26 à #28 relatifs aux Alpha Lantern, sorte de police de la police verte, et #36 à #38 consacrés donc aux lanternes rouges), puis l’orange (l’avarice) dans Agent Orange (Green Lantern vol. 4 #39 à #42). Et entre deux bastons spatiales, le scénariste trouve le temps d’installer le Blue Lantern Corps (associé à l’espoir) mené par Saint Walker et l’Indigo Tribe (gardienne la compassion), pour laquelle tout reste à écrire.

Fidèle à sa réputation de perfectionniste, Johns a organisé son spectre des émotions sur la même structure que celui des couleurs. Le vert, le plus puissant, est au milieu et sert de point d’équilibre et de canaliseur pour les autres couleurs. Les couleurs situées en bas du spectre (jaune, orange et rouge) sont celle du mal et tous leurs « infectés » (le scénario de Rage of the Red Lantern lorgne sur celui de 28 jours plus tard, l’un des films préférés d’Ethan Van Sciver) sont dominés par leur anneau. Alors que les couleurs du haut du spectre (bleu, violet et indigo) sont associées au bien et leurs porteurs contrôlent leurs émotions donc leurs anneaux. Ce genre de détail peut paraître simple mais il est révélateur de la propension qu’a Johns à tout penser, organiser et expliquer. Mieux, en plus de créer ces corps, de leur inventer une histoire, un QG et des capacités propres, Johns va jusqu’à leur donner à chacun … un serment, dont la structure est calquée sur celui des Green Lantern. Ce type est tout simplement un génie.

Sept couleurs, sept émotions, tous les pions sont en place. L’arc Agent Orange marque la fin de la troisième partie du prélude à Blackest Night. La guerre de la Lumière peut avoir lieu.

Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir

L’histoire commence alors que Green Lantern et Flash (Barry Allen, revenu d’entre les morts et nouvelle tête d’affiche chez DC grâce à … Geoff Johns) se recueillent sur la tombe de Bruce Wayne et évoquent leurs amis tombés au combat, dont le dernier n’est autre que le Martian Manhunter. Dans le même temps, un sinistre personnage au costume aussi noir que son âme, Black HAND (alias William HAND, un ennemi de Jordan crée par John Broom en 1964 dans Green Lantern #29. Il s'agit en fait d'un clin d’œil à son ami William "Bill" Finger. Et tout comme Finger, Hand a la manie de tout noter dans un petit carnet), distribue des anneaux noirs à tous les guerriers récemment morts. Son objectif est de se constituer une armée de zombies qui doit lui permettre d’invoquer l’esprit de la mort. Et d’enfin régner sur un univers apaisé, libéré de toute vie donc d’émotion.

Connectés à leur anneau noir, ses zombies se nourrissent des émotions de leurs ennemis, sont indestructibles et bien entendu tout héros tué est immédiatement ressuscité par un anneau noir et passe dans l’autre camp. La crise est totale et tous les personnages de l’univers DC sont touchés, héros comme vilains.

Blackest Night a été le plus gros évènement comics 2009-2010. Servi par les talents conjugués de Johns et Reis, ce cross-over a réussi un double exploit : éclipser les productions Marvel parues à la même période, dont le cross-over Siege de Brian Bendis et Olivier Coipel (L’éditeur en tirera des leçons puisque l’année suivante les X-men seront confrontés à une armée de mutants zombies réveillés par Sélène et le cross-over annuel de l'éditeur confronte les super-héros à l’incarnation de la peur dans Fear Itself, et sa suite en négatif No Fear) et faire passer Flash et Green Lantern devant la sacro-sainte Trinité Batman-Superman-Wonder Woman en terme de popularité comme de ventes.

Autre point positif de la série, elle permet à Johns de ressusciter de nombreux personnages importants de l’univers DC (notamment Aquaman, pour lequel il a un faible et un plan) et de mettre en avant des personnages jusqu'alors secondaires, dans le but avoué d’apporter de la nouveauté dans l'univers DC. Johns va notamment donner ses galons de star à Méra, l'épouse d'Aquaman, véritable furie capable de faire jeu égal avec Wonder Woman.

Blackest Night est donc à de nombreux égards une immense réussite, une histoire parfaite, maîtrisée de bout en bout, dont les bases ont été subtilement posées pendant cinq ans. Pour autant une question subsiste. Celle-là même que Xavier avait posée : est-ce que c’est bien. Comprenez, « Est-ce que sa lecture est conseillée ? ». Et c’est là que ça se complique.

Oui, Blackest Night doit être lue. Mais pour apprécier pleinement ce copieux repas et éviter l’indigestion, le lecteur averti doit remplir deux conditions sous peine d’être rapidement perdu voire découragé.

  1. Connaître les prémisses et les clefs de cette histoire (et cet article est une modeste tentative pour vous y aider). Et pour ça, il n’y a pas de miracle, il faut en passer par la lecture des épisodes de Green Lantern depuis son retour sous la plume de Johns et les pinceaux de Reis. Ça tombe bien, ces histoires sont toutes excellentes.
  2. Avoir la même culture encyclopédique de l’univers DC que Johns. Et ça, ça ne s’invente pas. Heureusement entre les explications des auteurs ((Sinestro Corps War vol.2 et Blackest Night contiennent des cahiers bonus extrêmement riches en informations)) et internet il est facile de rattraper le retard.

On l’a dit, Geoff Johns a majoritairement écrit pour DC depuis le début de sa carrière. Il connaît excellemment bien tous les personnages de l’éditeur, du héros de premier plan au vilain de seconde zone. Et perfectionniste comme il est, il ne connaît pas seulement leur existence mais tout de leurs histoires à leurs traits de caractère. Si vous voulez vous lancer dans Blackest Night, et je ne peux que vous encourager à le faire, vous devrez soit être un pro de l’univers DC (vous savez qui est Méra ? Vous avez déjà entendu parler de Hawk & Dove ? Vous connaissez la malédiction qui pèse sur Hawkgirl et Hawkman ?), soit accepter d’avance l’idée d’approfondir vos connaissances.

Pour autant, si Johns à travers Blackest Night a permis à DC de revenir sur le devant de la scène, tout son apport vient de s’effondrer. Entre-temps, l’industrie des comics a plongé dans une crise sans précédent et tous les éditeurs, du plus petit au plus grand, cherchent de nouvelles solutions pour continuer d’exister.

C’est ainsi que DC a annoncé une refonte totale de son univers dès septembre 2011, un reboot de l’ensemble de ses séries et personnages (seul Batman échappe à cette remise à zéro). Tous les personnages et toutes les séries repartent du numéro #1, 52 séries sont prévues pour sortir simultanément tous les mois, avec 52 équipes artistiques différentes qui auront pour mission de réécrire intégralement toutes les origines des personnages. Geoff Johns ne quitte pas le navire pour autant puisqu’il écrira les nouvelles aventures d’Aquaman mises en image par Ivan Reis et bien évidemment celles du Green Lantern nouveau. L’autre grande annonce dans ce reboot, c’est le retour de Jim Lee aux pinceaux. Le dessinateur doit en effet reprendre la JLA, sous la plume de …Geoff Johns.

De tout ce qui a été, DC fait table rase et recommence avec un univers principal plus jeune et plus contemporain (un peu comme l’a fait Marvel avec son univers Ultimate).

Dès lors, facile de comprendre que tout le travail de Johns tombe à l’eau : tous les personnages qu’il avait sorti des fonds de placard sont abandonnés et tout son travail de réécriture est oublié. Difficile de se motiver à lire une série et son point d’orgue en se disant qu’il n’y aura pas de suite. Reste quand même de superbes histoires qui auront marqué l’histoire des comics et de DC.

Si on a beaucoup parlé ici du travail du scénariste, il ne faudrait pas occulter celui du dessinateur. Pendant sept ans, Ivan Reis a rendu comme un métronome des planches frôlant la perfection. Méticuleux, il s’est chargé seul du design de centaines d’aliens, de tous les costumes (permanents ou temporaires) des personnages principaux ou secondaires, des emblèmes des factions, des différents mondes visités, poussant le vice jusqu’à imaginer un design différent pour chaque anneau ! Un travail d’orfèvre à la qualité constante. Et il reste à l’aise aussi bien dans les scènes intimistes qu’avec des centaines de personnages se mettant royalement sur la courge dans des doubles pages explosives.

A noter que Reis a parfois laissé la main à quelques invités prestigieux (Carlos Pacheco, Ethan Van Sciver, …). Dans l’ensemble, ces fill in sont réussis et on ne relève au final qu’un malheureux accident (dans Wanted : Hal Jordan, le travail d’Oclair ALBERT sur l’épisode des Star Sapphire est … comment dire … affreux ?).

« C’est bien beau tout ça, mais nous quoi qu’on lit là dedans ».

C’est facile : tout ce qui vient d’être évoqué dans cet article. Coup de chance, à la faveur de la sortie du film Green Lantern, Panini a commencé à publier les premiers recueils consacrés au flic de l’espace.

Les lecteurs français peuvent donc trouver en librairie Green Lantern : Renaissance en version Deluxe (livre relié, couverture cartonnée) ainsi que Green Lantern : secret origin en recueil souple broché. Idéal pour se lancer dans l’univers du porteur de l’anneau.

L’intégralité de la série de GL et les huit épisodes de Blackest Night ont été publiés dans le mensuel DC Universe. Si une édition en recueils est pour le moment incertaine, vous pouvez toujours vous procurer les fascicules en occasion et reconstituer l’intégralité de l’histoire. Mais à la difficulté de les trouver tous s’ajoutent celle de suivre une histoire fragmentée et l’obligation de se farcir les autres séries du mensuel, pas toujours intéressantes.

Enfin, on peut trouver depuis peu en librairie Blackest Night - Green Lantern Corps dans la collection DC Big Book (recueil broché, papier poreux recyclé, mais prix compétitif). Si ce choix parait évident pour un lectorat peu habité à l’univers de la lanterne (l’éditeur prend peu de risque avec le GL Corps et Kilowog en couverture après que les rues ont été arrosées d’affiches pour le film), il est dommage que Panini n’ose pas aller au bout pour proposer d’autres annexes, notamment celle consacrée au Black Lantern Corps, de loin la série parallèle la plus intéressante.

Deux points viennent toutefois ternir ces sorties pourtant attendues des fans français.

Tout d’abord la qualité des livres : depuis que Panini a repris le catalogue et les droits DC et Marvel à Semic, l’éditeur s’est fait remarquer pour la qualité déplorable de ses traductions. Au point que certains traducteurs sont maintenant connus et régulièrement conspués sur les forums. Origines Secrètes est à ce titre un modèle de ratage, critiqué de toute part tant pour son niveau de français affligeant que pour ses erreurs d’impression (de nombreuses cases de bas de page ont été coupées).

Surtout, Panini a annoncé qu’il perdrait en 2012 ses droits sur les publications DC Comics au profit de Dargaud. Il ne reste donc que quelques mois à l’éditeur italien pour publier l’intégralité des épisodes de GL par Johns et Reis en recueils. Ça, mais aussi le reste des séries en cours. Autant dire mission impossible. Et rien ne nous assure que Dargaud poursuivra le travail commencé par son prédécesseur.

Pour lire les aventures de Green Lantern en recueil, il est donc préférable de se rabattre sur les versions américaines, qui assurent d’avoir une collection complète, respectueuse et moins chère mais qui sanctionne les lecteurs les moins anglophones.

Cette question de changement d’éditeur en France se pose avec encore plus d’acuité quand on sait que Panini vient de commencer la publication en kiosque de Brightest Days, mini-série de 26 épisodes commencée en avril 2010 aux États Unis. Scénarisée par Geoff Johns et Peter Tomasi, dessinée en alternance par Ardian Syaf, Scott Clark, Patrick Gleason, Joe Prado et bien évidemment Ivan Reis ((les couvertures sont signées David Finch)), elle constitue la suite directe de Blackest Night.

Elle narre les aventures des 12 héros et vilains revenus à la vie à l’issue de Blackest Nigh alors qu’ils cherchent à comprendre les raisons de leur salut : Professor Zoom (la Némésis de Flash), Jade (la fille d’Alan Scott et petite amie de Kyle Rayner), Osiris, Maxwell Lord, Hawkgirl et Hawkman (libérés de leur malédiction), Aquaman Martian Manhunter, Jason Rusch, Captain Boomerang, Hawk (du duo Hawk & Dove), et Boston Brand. Et Batman ? Ben non, pas Batman. Et pourquoi ? Parce qu’il n’est pas vraiment mort.

Petit aparté pour vous prévenir : si vous étiez perdu avec les personnages de Blackest Night, il vous sera encore plus difficile de suivre Brightest Day si vous ne connaissez aucun des ressuscités.

Conclusion : Blackest Night c’est bien, vous devez lire la saga Green Lantern et Goeff Johns est un génie.

Chacune des arches narratives de la saga Green Lantern, depuis Renaissance jusqu’à Blackest Night, mériterait un article particulier tant elles foisonnent de détails et de références. En donner quelques exemples serait réducteur, les lister tous, impossible. Avec Johns, chaque case, chaque bulle contient un élément important, chaque mot est soigneusement choisi. Et pourtant, tout reste fluide et compréhensible malgré des interactions entre des centaines de personnages.

Au final, la saga de Johns et Reis s’impose à tous les niveaux : histoire simple à même de contenter facilement les lecteurs occasionnels, elle recèle suffisamment de référence et de détails pour occuper les aficionados longtemps après qu’ils auront terminé leur lecture.

Portée par un couple d’auteurs au somment de leur art et à l’aise aussi bien dans les scènes psychologiques que dans les bastons spatiales homériques, la saga Green Lantern ne faiblit à aucun moment et s’achève en apothéose. Riche, brillante, addictive, explosive, elle mérite son succès public et tous les superlatifs décernés pendant sept ans par la presse spécialisée comme généraliste (dont le prestigieux New York Times).

(Je vous invite à retrouver ce copieux article agrémenté de belles images et des jeux de mots stupides sur Kroniks)

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Merci Cruchot pour cet article. Excellent, et comme d'habitude tu me donnes envie de courir chez le libraire. :D

Est-ce que tu pourrais nous fournir des liens (Amazon par exemple) vers les éditions françaises et anglaises des recueils ? Ça permettrait d'avoir les noms exacts et une idée de la couverture.

:)

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Continuez à m'envoyer ces signes de reconnaissance positifs (c'est l'expression consacrée). Ça fait vraiment du bien au moral et j'en ai sérieusement besoin en ce moment. :-]

Pour la saga Green Lantern par Johns, les titres des recueils sont tous cités dans l'article, mais de manière éparse. Les voici donc dans l'ordre de parution (bon je mets pas Green Lantern devant le titre du recueil à chaque fois hein) :

Rebirth publié en français sous le titre Renaissance

No fear

Revenge of the green lanterns

Wanted : Hal Jordan

Sinestro Corps War vol 1 et volume 2

Secret origin publié en France sous le titre Origine Secrète

Rage of the red lanterns

Agent Orange

Blackest Night

Ça fait déjà une belle collection tout ça.

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C'est vraiment très intéressant et ça complète de loin le faible verni que j'avais du Green Lantern (je n'en avais lu que quelques histoires, même pas une saga complète);

J'avais découvert sur Wikipédia les autres couleurs mais n'avais pas pris le temps d'approfondir.

Ce que tu nous révèles là est bigrement intéressant et fait prendre conscience d'une bien plus grande complexité qu'il n'y paraissait de prime abord; souvent, on a le droit à un héros qui découvre ses pouvoirs, apprends à les utiliser et affronter des méchants de plus en plus sournois/puissants (Dragon Ball est la quintessence de cette logique).

Là, on a affaire à un véritable univers complet qui ne peut être compté en une seule série de BD, et ça ça sort de l'ordinaire.

Je lis souvent les articles sans faire de commentaire, mais j'avoue que celui-là me plaît particulièrement, peut-être par ce que je ressentais une certaine exclusivité à connaître "moi" Green Lantern et pas les autres :)]

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Je suis bien content que l'article vous plaise et qu'il vous ait intéressés à l'univers de la Lantern par Johns. Maintenant, ce serait bien que ceux qui se lanceront dans la lecture de tout ou partie de la saga donnent leurs impressions ou posent leurs questions. Histoire d'animer le fil.

Mon rédac' chef, Xa donc, m'a demandé si je pouvais plancher sur d'autres dossiers de la sorte. J'ai bien quelques idées en tête (les cross-over Marvel depuis House of M, une grille de lecture de Kick Ass) mais si vous avez des thèmes/séries de votre côté, soumettez les et je verrai ce que je peux faire (seul ou avec de l'aide).

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Spécialiste DC, tu y vas un peu fort je trouve. Quant à la polémique, quelle polémique? Si polémique il doit y avoir, ce serait plutôt sur la place des rousses dans les comics (tiens, petit jeu/troll: lister les rousses dans les comics, tout confondus :-° )

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